En quête d'un poisson amer

La lumière du soleil pointe à peine et un Hordijk se redresse de toute sa hauteur. Il renifle, son regard va tranquillement à gauche, à droite. La nuit a été gentille, comment se présente ce jour ? Le geste sûr, Yakdaack défait son armure. Un piètre équipement, qui vient remplacer la cuirasse de très bonne facture ruinée lors de son dernier combat. Le cuir et le métal tombent lourdement au sol. Doucement, il retire son casque aux cornes ahurissantes. Il le pose délicatement, sa longue chevelure de cendre se tombant sur ses massives épaules. Son œil d’acier oblique vers la rivière. Il enfile son étui dorsal, la garde de son épée contre la nuque. Nu mais armé, il entre dans la rivière. Ses jambes, véritables pilonnes, lui permettent de défier aisément le courant. L’eau lui arrive à la ceinture quand il se stoppe. Il renifle, écoute. Et il fait gicler l’eau glacée sur son torse, rince son visage, frotte ses aisselles. Il sort de l’eau, s’essuie avec sa cape. Sans hâte, il réajuste ses pièces d’armure sur son corps, fixe son bouclier dans son dos. Il fait tomber l’étoffe bleue sur ses épaules, ferme la fibule et enfile enfin le robuste casque. En marche.

Sur le chemin, il aperçoit un marquage improvisé sur du bois mal travaillé. La menace d’un monstre marin semble bien réelle. Yakdaack renifle. Il reprend sa marche, inspectant la surface de l'eau à la recherche d'une ombre vive. Pas un pêcheur, en cette saison il leur faut une bonne raison pour déserter la Dent du Loup. Yakdaack ignore qu'il progresse dans le sens et sur la rive opposés de deux aventurières firens, deux concurrentes.

Géant cherche

La rivière est longue, elle court jusqu’à la mer intérieur sur près de 250 km. Yakdaack estime qu’il lui faudra deux jours pour parcourir ce qui reste de rive jusqu’à Juubaiala, trois si il prend son temps ou si il est ralenti. En espérant que le monstre profite de la Dent du Loup et ne fonce pas tout droit au cœur du pays. Toutefois, ce qu’il redoute vraiment, c’est la concurrence. Si il croisait un Firen avec la tête du poisson dans sa hotte il aurait sans doute une poussée d’hémorroïde à plus pouvoir arquer. Yakdaak masque sévère à cette pensée. Il balaye ces images et s’arrête pour s’asseoir sur un roc. Il débouche sa bourache et boit tranquillement. Du balluchon il sort deux tranches de viande séchée. Son œil se fixe à un insecte qui danse sur l’eau. Sans regarder ni renifler ce qu’il mange, il ne lâche pas le petit danseur des yeux. Il tente de visualiser la bête qu’il traque, le cuir qui la protège, sa vélocité. Il a déjà tué plus haut et plus fort que lui, à plusieurs reprises, mais jamais il ne s’est battu dans l’eau vive et il se dit que c’est un sacré handicap.

Un bruissement à droite, aussitôt la mâchoire du géant cesse son travail, aussitôt son regard oblique. Un oiseau de proie vient de quitter sa branche. Il a belle envergure. Il s’éloigne, impérial. Yakdaack joue avec son couteau de chasse, mange lentement. Le soleil est sur le déclin. Près de neuf heures qu’il marche sans apercevoir le moindre indice de cette terreur marine. Notre Hordijk décide de camper ici et dresse son feu à proximité d’une herbe tendre. Il soulève son heaume, s’allonge sur le dos et se couvre de sa cape. Demain il marchera cent kilomètres si il le faut. Quand Yakdaack traque, il est du genre tenace, très tenace.

Géant marche

Deux heures qu’il marche déjà. Le soleil est encore très bas, rougeoyant. Le géant avance, son pas a quelque chose de mécanique, ses longues foulées lui donnent une allure implacable. Cette haute carcasse perchée sur ces larges cuisses, qui pourrait bien l’arrêter ?

Ce qu’il aime marcher. Depuis son plus jeune âge, il marche. Ceux de sa race sont d’excellents arpenteurs et Yakdaack est sacrément digne de son sang. Il se remémore ses escapades sauvages avec Knut, ce roquet persifleur. Tous les deux, ils battaient la plaine sur des distances tout à fait défendues pour leur âge. Des frayeurs oui c’est sûr, mais du bonheur surtout, du bonheur.

Un fort clapotage se fait entendre. Le guerrier s’immobilise et se concentre sur le flot. Il perçoit finalement une ombre. D’ici elle lui paraît bien trop petite pour être ce qu’il traque. Il approche, elle disparaît. Il renifle, reprend sa marche. Les cornes continuellement tournées vers la rivière, Yakdaack se rapproche sûrement de la mer intérieur. Veux-tu te montrer jeune monstre ? Allons donc, à quoi joues-tu ? Le Hordijk en est là quand une volée d’oiseau quitte ses frondaisons à une centaine de mettre. Ils ont eut peur de quelque chose, c’est certain. Le menton de Yakdaack plonge légèrement, son œil durcit et ses muscles se mobilisent. Son pas s’affermit encore.

Marche encore

La pluie s’abat sur notre marcheur. Une pluie drue, froide et soudaine. La bouche en fer à cheval de Yakdaack s’étire encore vers le bas. Il déteste la flotte qui tombe du ciel, le sale petit son métallique que fait chaque goûte lorsqu’elle frappe son casque d’airain. Il dépasse l’arbre d’où se sont envolés les volatiles effrayés. Il se dit que la cause de leur effroi n’était peut-être qu’un Hordijk à cornes. PING ! Yakdaack arque un sourcil sous son masque de métal. Grosse goûte que celle-ci.

La surface de la rivière devient bien difficile à percer, la lumière a baissé et le guerrier décide de s’arrêter. Il quitte sa rive et appuie sa large épaule contre le premier tronc venu. Abrité sous le feuillage, l’œil dans le vague, il attend que l’averse passe. Il s’interroge. Ce ne serait pas la première fois qu’il poursuit une chimère. Les histoires entendues dans les tavernes, même relayées sur des panneaux de bois, sont bien souvent le fruit d’imaginations fleuries et frileuses. Bras croisés, Yakdaack opine gentiment du chef. Le ciel a la vessie qui se détend. Le géant dégaine sa bourrache, boit deux généreuses gorgées. Bon, en route.

Après la pluie et une chape grise bien installée, l’éclairci. Yakdaack pose son séant sur un rocher. Les mains en appui sur ses cuisses, les épaules en avant, il casse sa nuque en arrière et reçoit la lumière en pleine figure. Les paupières closes, il se nourrit de cette petite chaleur. Mais qu’on ne s’y trompe pas, si il a renoncé à la vue, ses autres sens sont tous sur le pied de guerre et il faudrait s’habiller de velours de la tête aux pieds pour le surprendre.

Mauvaise rencontre

Les naseaux bien ouverts, Yakdaack renifle une odeur de cadavre. Le grognement qu’il perçoit le décide à ouvrir les yeux et se dresser sur ses jambes. Le geste fluide, il empoigne épée et bouclier en pivotant vers le prédateur qui vient de surgir. Le guerrier fléchit et s’équilibre parfaitement, son souffle se fait plus profond. Son œil est rivé à cette créature qui n’attend pas pour le charger.

Elle est rapide, très rapide, le géant a tout juste le temps de lever son bouclier pour encaisser les griffes monstrueuses qui en veulent à son visage. Son regard s’arrondit, Yakdaack est bluffé, quelle puissance ! Son bras cède et l’offensive enfonce sa garde jusqu’à lui déchirer l’épaule et la poitrine. Yakdaack contracte la mâchoire et son regard noircit à la vue de son hémoglobine. Sa main droite s’affermit autour de la fusée de son glaive, son œil délivre un éclat meurtrier. La pointe de sa lame fend l’air et s’élance vers le ventre du reptile. Il faut qu’il la touche gravement, il faut qu’elle sente l’odeur de son propre sang, que la douleur l'étreigne. Car le Hordijk sait, il sait qu’il ne pourra pas encaisser une seconde attaque aussi déchaînée.

Spoiler:

Très mauvaise rencontre !

Elle gueule comme il faut. L’arpenteur du nord la sent soudain très lourde contre lui. Mais cette saleté a beau être durement atteinte ça ne l’empêche pas de planter les crocs dans son épaule. Yakdaack se sent littéralement dévorer, son bouclier faiblit, il doit se dégager. Pour ça, il s’en remet à la puissance de ses cuisses d’Hordijk. Il serre les dents et fléchit, affermit ses appuis. Soudain il débande ses muscles et bondit en avant pour s’écrouler sur la créature qui heurte durement la terre et se retrouve sous lui. La poussière soulevée est visible à un kilomètre. Sans perdre une seconde malgré la douleur qui le fait suer, Yakdaack saisit son glaive à deux mains pour le brandir et l’abattre dans le cœur du reptilien. Ses yeux crachent une lumière rageuse et ses lèvres s'étirent vers le bas, comme si la haine s'y suspendait.

Spoiler: